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samedi 27 mai 2017

Style wars



1983

Titre original : Style wars

Réalisateur: Tony Silver

Notice SC
Notice Imdb

Vu sur le net

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Le mois prochain, cela fera donc un an que j’aurai découvert le monde artistique propre au streetart. Depuis, il a pris une part importante dans ma vie. Avec ma femme, nous avons trouvé là un prétexte à nous balader un peu partout dans la région pour écumer les spots de streetart (Montpellier, Nîmes, Sète, Grau du Roi, Sauve,  etc). Mon compte instagram à 99% consacré au streetart (sebray34) ne désemplit pas de nos découvertes et m’a permis de deviser avec certains artistes locaux, notamment Honck qui, devant mon inculture et mon intérêt pour le streetart m’a conseillé de voir ce documentaire, alors que nous parlions du wild style.

Très bon conseil. Certes, il est question d’esthétique, de parti pris et de l’histoire stylistique du graffiti et du tag, mais bien au delà de ça, le film de Tony Silver évoque le streetart dans sa globalité, comme un fait de société, une histoire de la pratique, de la philosophie des graffeurs new-yorkais de la fin des années 70 au début des années 80.

Il traite des regards divergents, passionnés ou rebutés à l’égard de cette expression, les clivages spatiaux, sociaux, culturels, politiques qui ressortent, les conflits d’intérêts, l’engouement, le rejet viscéral, les concurrences presque tribales, etc. C’est foutrement intéressant.

D’autant plus qu’en France aujourd’hui, on retrouve certaines de ces problématiques, le plus grand écart sera sans doute trouvé dans l’appartenance sociale au quartier, propre aux USA, mais pour le reste, l’acceptation de cette forme d’art de plus en plus développée n’est pas encore tout à fait aboutie. Nombreux sont ceux qui voient dans le graffiti ou le tag une dégradation de l’espace public urbain alors que les autres y voient de l’art, un embellissement évident. Cette fracture est palpable dans le quotidien de nombreux artistes, sur le plan judiciaire notamment.

L’aspect “vandal” est également toujours revendiqué par un grand nombre d’artistes qui y voient là une forme d’expression de leur liberté aussi. Bref, le documentaire a plus de 30 ans et il est encore d’actualité, tant le streetart est devenu un objet de fascination, entre exclusion et embourgeoisement.

Tony Silver interviewe des artistes plus ou moins jeunes, dont certains sont aujourd’hui l’incarnation de l’histoire de cet art (comme Seen par exemple) et ces entretiens dynamiques, simples, intimes et intelligents assurent à la lecture une belle lisibilité. C’est fluide, jamais ennuyeux, superbe, équilibré et structuré par un montage astucieux. J’ai adoré.

mardi 7 juin 2016

Marine avec pêcheurs



Vers 1637-1638

Titre francophone : Marine avec pêcheurs

Auteur: Salvator Rosa

Notice sur Salvator Rosa
Site de la Certosa e Museo nazionale di San Martino


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Avant d’aller à l’exposition “L'âge d’or de la peinture à Naples” au Musée Fabre de 2015, je n’avais jamais entendu parler de Salvator Rosa.


J’ai été étonnamment touché par cette “marine aux pêcheurs”, exécutée entre 1637 et 1638. De prime abord, il m’arrive d'être sensible au genre paysagiste, mais dans la multitude, je peux plus souvent passer à côté sans émoi. Or, devant cette toile a priori ordinaire, je fus arrêté par l'espèce de contraste entre l’espace pris par le paysage et celui pris par les figures de pêcheurs, mais également par la capacité, la touche du peintre à faire scintiller les personnages, par la minutie manifeste avec laquelle il a amoureusement traité ces figures. Elles sortent littéralement de la toile, comme en relief.

Autre curiosité qui m’attache à l’oeuvre au point d’en v’nir causer ici ma pov’ dame, c’est que l’ensemble “personnages-paysages” entre saillie et gigantisme forme malgré tout un amalgame d’une incroyable cohésion.

Après, il y a peut-être quelque chose d’autre qui est en jeu, difficile à cerner pour le profane que je suis. J’aime beaucoup cette toile, alors qu’a priori, elle pourrait être vue comme une œuvre banale, en tout cas pour un inculte comme mézigue. Or, le tableau ne me paraît pas du tout ordinaire. Je ne sais trop pourquoi. Je manque cruellement de culture picturale pour savoir.


Quoiqu'il en soit, il me touche, je l’aime beaucoup, j’aime comment les pêcheurs se fondent dans le paysage tout en étant bien distincts : pfff, difficile à expliquer. Pour le coup, c’est mon discours qui manque de cohérence ! Mes sentiments sont confus, mais bon, sans doute s’agit-il aussi de ce qu’on appelle habilement la magie? Vous savez ce petit truc commode qui permet d’expliquer l’inexplicable.


Depuis, j’ai un peu cherché à savoir qui était ce Salvator Rosa, bien entendu. Il apparaît que le bonhomme était un spécialiste des paysages de bords de mer napolitains, qu’il n’hésitait pas à parcourir en barque pour en croquer la nature et qu’il fignolait dans son atelier, y insérant des détails naturels ou des figures humaines. Un peu poète, tendance tiraillé par les tourments existentiels, il a pu verser parfois vers des visions fantastiques. Pour ce tableau, il reste sobre, mais peut-être cette “magie” que j’évoquais plus haut provient de cette propension du peintre à laisser une part de fantaisie dans ses toiles. La façon dont les pêcheurs sortent du tableau doit y être pour une bonne part. Malheureusement, la reproduction ne rend pas du tout compte du relief ni de l’éclat coloré de ces personnages. Il faut le voir physiquement pour s’en rendre compte. Le tableau se trouve à Naples (Chartreuse et Musée Nationale San Martino).  

A noter également que le charme discret qu’exercent ces paysages m’a fait penser à celui qui émane de nombre d'œuvres de Claude Lorrain. Ce qui peut en partie expliquer le pouvoir d’attraction de cette toile.

Salvator Rosa a fait également beaucoup d’autoportraits. J’y ai été moins sensible.

J’ai appris aussi qu’il avait confectionné énormément de gravures qui eurent grand succès auprès des collectionneurs. Je les comprends sans peine. J’ai pu en admirer par ailleurs quelques unes sur le net. Faites-en autant, voilà un bon conseil. Elles m’ont incité à penser qu’il faudrait que je m'intéresse sérieusement à ce domaine. Là encore j’ai un retard culturel conséquent : à défricher et explorer au plus tôt ! Riches découvertes potentielles. J’en ai des choses à apprendre !

mercredi 2 septembre 2015

Rotonde du glacier de l'opéra Garnier



1889

Auteur: Georges Clairin

Visites de l'opéra Garnier
Notice Georges Clairin



Au moment de l'inauguration de l'opéra Garnier, le salon du glacier n'était pas encore achevé. Charles Garnier lui même eut ces mots qui sonnent aujourd'hui injustes : "Sauf les peintures artistiques ou décoratives, cette galerie offrira assez peu d’intérêt…" Il avait dessiné cet espace d'agrément destiné à recevoir des invités lors des entractes et à rafraîchir tout ce petit monde.

Comme les tapisseries des Gobelins qui s'y trouvent l'illustrent parfaitement, il était surtout question de boissons alcoolisées pour la plupart (mais pas seulement : le café était alors très couru) propices à désinhiber les plus froides constitutions. De fait toutes ces agapes étaient censées laisser espérer un avenir paradisiaque et qui sait, pas si artificiel, comme le plafond peint par Georges Clairin le suggère avec insistance : une bacchanale pleine d’appétissantes créatures livrées à Dieu sait quelles cochoncetés de la part des faunes et autres créatures à poils.

D'habitude je ne suis pas spécialement attiré par le style de Georges Clairin, ni rebuté à l'excès non plus. Pour une fois, ce plafond m'a charmé. J'ai eu plaisir à me noyer dans le rose tendre du ciel et ces échanges avec un bleu effacé, ouateux, presque blanc. Cette richesse dans les nuances m'a beaucoup plu.

Je ne suis pas très friand toutefois de ses nus féminins. Ils devraient être beaux, ils ne sont au mieux que légèrement sensuels. Je ne sais si c'est la pose ou bien le trait, la composition des corps me tarabuste l'œil. Ces demoiselles manquent de naturel par endroits.

Au contraire, les anges et démons sont paradoxalement plus proches d'un certain réalisme, plus abouti me semble-t-il. M'enfin, je ne suis pas expert, ce n'est qu'un vague sentiment personnel. Toujours est-il que l'ensemble du lieu est assez bien fait et le plafond y joue certainement un rôle majeur. Pas évident pour moi de traiter du plafond seul, mais il me faut être cohérent et aller au bout de ma démarche. J'ai bel et bien eu les yeux collés à la voûte, plus que de raison, lors de la visite de cet opéra. Ce n'est pas par hasard.

Si je devais signaler une partie de cette œuvre plus qu'une autre, qui a davantage attiré mon attention, c'est vers le duo ange/démon que je me tournerais. Certes, l'association dans l'espace du mal et du bien n'a rien d'original, je vous le concède. Mais remarquez le bel ajustement, la bonne balance des tons. Les lignes forment une trajectoire facilitant la lecture de manière toute naturelle. Le couple paraît presque parfait.

J'ai un peu également cette sensation d'accouplement, si je puis dire sans malice, "idéal" avec le faune accroupi devant une blonde et blanche créature aux seins fiers et dardants. Les deux visages ne font pas que se regarder, ils appellent le baiser, se dévorent déjà. La distance encore grande entre ces deux-là n'aura vraisemblablement qu'une durée de vie très limitée. Incessamment sous peu, il va y avoir contact. Ceux-là aussi sont, comme l'ange et le démon, adorables. Fi de la subversion de la nature qui pourrait être invoquée, seul le geste et l'élan légitiment ce désir.

Il y aurait beaucoup à dire sur l'opéra de Paris. Si je dois résumer, je dirais : "courez-y, prenez votre temps, les espaces sont vastes et parfois surprenants, dans le sublime".

Cette rotonde du glacier n'est peut-être pas ce qui impressionne le plus, je l'admets, mais justement, sa modestie de prime abord ne doit pas nous leurrer. Elle révèle elle aussi ses petites merveilles qui peuvent vous ébahir et vous laisser pantois d'admiration, aussi bien que le plafond de Chagall.

vendredi 28 août 2015

Paysage avec la fuite en Egypte



1602-1604

Titre original: Paesaggio con la fuga in Egitto
Titre francophone: Paysage avec la fuite en Egypte
Titre francophone: La fuite en Egypte

Auteur: Annibale Carracci

Site de la Galerie Doria Pamphilj, Rome
Notice Annibale Carracci


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Dans un autre genre que sa "Suzanne et les vieillards", bien qu'on reste dans l'histoire religieuse, on découvre un charmant petit tableau sur toile du même auteur : Annibale Carracci. Il y a pas mal de ses œuvres dans la collection au Palais Doria Pamphilj de Rome.

Celui-ci est adorable. Par ses dimensions et surtout par l'infinité de petits détails qu'il recèle. Plus encore peut-être, je me demande si cet Annibale n'est pas un gros farceur, ou dans une moindre mesure, quelqu'un doué d'un certain sens de l'humour, un espiègle esprit qui aime aussi jouer avec son art et le regard de l'observateur.

En effet, a priori, on est face à un paysage banal, comme il s'en est peint des pelletées de tout temps. Au milieu de ce spectacle champêtre, plutôt vert, à la végétation parfois dense, où trône, assise sur une colline, une ville fortifiée, sous un grand ciel nuageux, on aperçoit au premier plan un drôle d'équipage : une femme portant un bambin et un vieux barbu guidant un âne à la sortie d'un guet. Quel est donc le sujet ? On ne sait trop devant le choix : la ville, la forêt, la femme, le vieillard? On regarde de plus près et on distingue un paysan avec son troupeau de vaches, un autre avec des moutons, un pêcheur sur sa barque. Au loin il y a même un cavalier isolé.

Qu'est-ce que c'est que ce foutoir? Mais sî l'on regarde d'encore plus près, on se rend compte que la dame arbore une auréole au dessus du crâne (pffff : pour ceux qui pensaient "sous les bras"). La vierge donc. Mais de quoi s'agit-il au juste? Que fait-elle avec le petit Jésus ? C'est donc Joseph qui mène l'âne ? Et c'est d'encore plus près avec le bout du nez chatouillé par la toile que l'on voit dans le paysage lointain une caravane de dromadaires. Bon sang, mais c'est bien sûr : la fuite en Égypte !

J'ai dit et répété ici mon appétit vorace pour les thèmes classiques en peinture qui permettent de distinguer les personnalités et l'art des peintres qui s'y collent, de voir comment ils s'approprient le sujet par rapport aux autres. Il y a là une sorte de rendez-vous avec l'histoire, un enjeu personnel pour le peintre, un risque, qui peut exciter comme décevoir.

Et j'aime vraiment le parti-pris d'Annibale Carracci, son ingéniosité, sa hardiesse. Au-delà même de son aisance picturale à engraisser sa toile à force d'y poser mille détails. Alors que sur ce thème beaucoup ont préféré mettre en exergue la sainte famille, leur fuite, leur détresse, Carracci se concentre sur le paysage. Je ne sais comment a été accueillie cette proposition. Je suppose que d'aucuns l'ont peut-être trouvée humiliante, mais que d'autres ont pu apprécié le fait que l'événement lui même soit associé à la vie quotidienne campagnarde, et qu'ainsi ces personnages sacrés puissent bénéficier une image toute simple, naturelle et réaliste. On parlerait aujourd'hui de proximité.

En ce qui me concerne, ça fonctionne plutôt bien. La sainte famille apparaît effectivement plus humaine, certes, mais cela n'est pas du tout dérangeant, bien au contraire ! En somme, l'entourloupette du peintre me ravit car elle fait montre d'une gentille délicatesse dans sa provocation, et puis la mise en place des différents éléments est maîtrisée, suggérant un équilibre très agréable.

mercredi 26 août 2015

Suzanne et les vieillards Stanzione



1630-1635

Titre original: Susanna e i vecchi
Titre français : Suzanne et les vieillards

Auteur: Massimo Stanzione

Lieu d'exposition permanente: Stadelmuseum, Francfort 
Exposition L'âge d'or de la peinture à Naples, Musée Fabre été 2015

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Belle exposition durant cet été 2015 au musée Fabre : "L'âge d'or de la peinture à Naples" permet d'avoir un superbe et excitant aperçu de ce que cette ville a pu offrir aux XVIe et XVIIe siècles.

Et parmi ces peintres qui ont suivi Le Caravage ou plus généralement ont épousé les grands traits du baroque, il y en a un qui m'a tapé dans l'œil. Massimo Stanzione est un caravagiste affirmé. Cette toile le prouve très précisément d'ailleurs. Comme je l'ai déjà signalé à propos de la "Suzanne et les vieillards" de Carracci, le thème abordé par Stanzione est récurrent dans l'histoire de l'art. Je crois même qu'il existe une autre Suzanne exécutée par Stanzione. On estime que celle-ci a été peinte entre 1630 et 1637.

C'est peut-être ma Suzanne préférée. Je ne la trouve pas spécialement érotique, bien que sa poitrine soit dénudée, mais par rapport à celle de Carracci, elle l'est davantage. Indéniable. Ce qui me plait chez elle est délicat à définir. Mais l'on peut d'ores et déjà dire sans crainte de se tromper que la maîtrise technique est beaucoup plus sûre. Son réalisme, héritier du vérisme caravagesque, se lit aussi bien dans la coiffure pour le moins anarchique du vieillard de gauche que dans le visage incroyablement beau et fin de Suzanne.

Le spectacle est violent. La main droite de Suzanne repousse celle du vieillard central qui tente de la dévêtir complètement. La position de cette blanche main sur celle du vieux à la couleur ocre, terreuse, sale, au hale qui se confond avec sa manche, cette position écartée est toute crispation, toute horreur. Ainsi s'accorde-t-elle de façon tellement géniale avec la posture de tout le corps que l'ensemble est parfait de cohérence.

Surtout, ce visage oblique par rapport au corps, ce regard apeuré, presque figé par l'effroi, cette bouche fermée, rétrécie par l'immonde perspective, cette figure au front si blanc de pureté me transmet automatiquement l'espèce de révulsion qu'éprouve le personnage. Admirable représentation du dégoût! Quelle maîtrise !

Par rapport au tableau de Carracci qui formait un ensemble homogène où chaque personnage ne vaut que par la présence des autres, cette Suzanne se suffit à elle-même. Sa blancheur éclate, et de fait, scinde le tableau en deux, mais on garde l'œil scotché à la partie droite, tant la panique et la pureté de la demoiselle sont impressionnants. On partage son frisson.

Alors que la fontaine de Carracci avait une place non négligeable, Stanzione ne semble pas y accorder autant d'attention. Le fond du décor est tout aussi anecdotique. Le peintre se concentre uniquement sur sa Suzanne et les deux vieillards, sur cet instant, cette seconde photographiée (il n'est pas caravagiste pour rien) où la proposition indécente est faite de manière assez violente pour accentuer le trouble de la jeune femme. Comment ne pas vouloir courir à son secours, être Daniel et sauver la fragile dame?

Je trouve cette Suzanne adorable et l'équilibre général de la peinture est une merveille ! J'adore ! 

mardi 25 août 2015

Suzanne et les vieillards Carracci



1603

Titre original: Susanna e i vecchioni
Traduction: Suzanne et les vieillards

Auteur: Annibale Carracci 
ou 
Auteur: Domenico Zampieri

Notice du tableau au Palazzo Doria Pamphilj, Roma
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D'un récent séjour à Rome, je ramène mille petits souvenirs de grandes images et sensations que je vais essayer de décrire le rapidement possible avant que ma pauvre mémoire perde pied complètement.

Je commence d'abord par une œuvre présente au Palais Doria Pamphilj. Ce magnifique espace privé possède une somptueuse collection de peintures, de sculptures et d'autres objets d'art que je ne saurais trop vous conseiller d'aller voir. L'endroit n'est point envahi de touristes, on peut y flâner en toute aise.

Je reviendrai plus tard sur d'autres œuvres du palais, mais je commence par "Susanna e i vecchioni" (Suzanne et les vieillards). Pourquoi cette peinture plutôt qu'une autre?

D'abord, cet épisode de la mythologie chrétienne fait partie de ces thèmes que les peintres ont aimé à reproduire. Un thème très courant, comme St Sébastien, Marie Madeleine ou Judith et Holopherne est pour le regardeur comme une promesse, un petit jeu de connivence entre l'art pictural et le spectateur qui se pose inévitablement la question de savoir quelle est la vision particulière de l'auteur, ce qui le distingue des autres artistes s'étant déjà confrontés à ce même thème ? Comment s'y prend-il celui-ci pour s'approprier le sujet, en faire une œuvre singulière ? Les thèmes classiques offrent souvent cette opportunité plaisante. Ce fut le cas ici pour ma part.

De plus, "Suzanne et les vieillards" est un thème propice à l'érotisme, sinon à la sensualité. Il est piquant, c'est à dire dérangeant aussi. Rien ne peut plus m'intriguer. Récemment, je suis également allé à l'exposition "L'âge d'or de la peinture à Naples" au Musée Fabre de Montpellier où j'ai pu admirer la "Suzanne et les vieillards" de Massimo Stanzione que je vais commenter aussi. Deux Suzannes en si peu de jours, j'étais obligé de comparer. Et elles sont si différentes ! Cela m'a paru très intéressant.

Et pour finir, dernier point qui pare cette œuvre d'une teinte encore plus mystérieuse : son auteur. Elle a été longtemps attribuée au Dominiquin (Domenico Zampieri). Or, à la galerie, elle est signalée comme l'œuvre de Annibale Carracci. Une base de données nous informe que l'attribution au Carrache est toute récente, sans autre précision. Quoiqu'il en soit, ce genre d'ombre fait partie de l'histoire de l'art. Ce sont des aléas fréquents, surtout quand les deux peintres putatifs sont liés, comme ici avec le Dominiquin, lié aux deux frères de Carrache.

Revenons maintenant à cette Suzanne. S'il s'agit bien du Carrache, elle est donc une œuvre de fin de carrière. Le maître est décédé en 1609. Elle date de 1603.

Ce que j'aime d'abord, ce sont les couleurs et surtout le contraste entre le rouge empressé ainsi que le bleu plus étouffé des deux vieillards, en pleine opposition avec la pureté blanche de la jeune femme. Le paysage alentour est très sombre, joliment fait, simplement classique. Mais les vieillards s'en extraient comme s'ils avaient été cachés par les ombres pour s'approcher sans être vus.

La ligne que suit notre regard depuis le vieux de gauche vers Suzanne à droite, en passant par le vieillard du centre, est fluide bien que formant une intersection avec soit une direction à droite vers la fontaine, soit vers le bas et le corps plié de la femme qui se reflète un peu dans l'eau. Cette ligne est parfaitement lisible.

Le tableau est agréable à l'œil, facile à comprendre, même sans connaître l'histoire de Suzanne. Je la résume vite : deux vieux vicelards matent une donzelle qui prend un bain, puis le zizi tout dur, proposent la botte à la belle qui refuse bien entendu. Vexés, les vioques l'accusent d'adultère. Heureusement, le prophète Daniel va les confondre et ce sont les vieillards qui seront condamnés.

Suzanne incarne la pureté. Et c'est bien cet attribut symbolique qui titille l'imagination. Et peut-être également la vanité des peintres ? Peindre la pureté : merde, quel exploit! La belle, la présomptueuse affaire! Certains ont accentué l'aspect érotique de cette histoire, en mettant en valeur la sensualité du corps de Suzanne et en enlaidissant les vieillards, comme pour signifier que la pureté n'existe que dans le regard impur des vicieux. Le fameux contraste.

Ici j'ai l'impression que ce n'est pas du tout ce que cherche le peintre. La posture de Suzanne n'a rien d'érotique : elle est fermée sur elle même, dans un inconfort manifeste. Aucune sensualité ne s'en dégage. Le tableau laisse une drôle de sensation. Curieusement, il a quelque chose de grotesque, presque comique. Je ne pense pas que ce soit intentionnel pourtant. Les corps se trouvent dans des positions incommodes, presque désarticulés. Le vieil homme de gauche enjambe le parapet, sa tête semble figée comme celle d'un chien à l'arrêt devant sa proie. Néanmoins, le reste du corps est en mouvement. Suzanne, en position de refus, lutte pour maintenir cachée sa nudité. Tout son corps est comme oppressé par l'élan pervers des deux hommes. Son corps est tendu vers un ailleurs désormais inaccessible. Son bras se tend vers la droite, tirant son voile comme ultime bouclier, mais sa génuflexion la cloue au sol. Impossible pour elle de fuir. La torsion du cou est forcée. Dès lors toute sa posture est bizarre, incongrue. Et l'ensemble des trois corps, leurs oppositions, forme un spectacle hors du commun.

En plus, comme les couleurs (bleu, rouge et blanc) détonnent par rapport aux fonds sombres, l'œil est en quelque sorte attiré, bousculé par ces différences. J'aime bien ça, les contours, les traits des personnages, comment leurs habits ou leurs corps se dessinent franchement. Ils y gagnent en relief, très nets. Les couleurs luisent. De fait, le tableau a été pour moi tellement agréable à regarder! Et à ce propos, il ne faut pas trop se fier aux reproductions trop claires. Le tableau est au naturel plus sombre. La galerie est peut-être pas si bien éclairée, il est vrai.

Pour finir, je dirais aussi que j'ai aimé cette fontaine. Je m'interroge encore sur sa signification. Elle est belle, tranquille. Immuable, dispensatrice de cette eau où se reflète une toute petite partie du corps de Suzanne. J'aime bien la façon dont la fontaine s'intègre sans le laisser apparaître nettement au reste du décor. Un flou étrange inquiète encore davantage. Les frontières sont estompées avec subtilité. Délicatement, dans le silence du noir. Phénomène jubilatoire finalement.

J'aime bien le Carrache, même si je lui préfère le Caravage. Il y a de la rondeur dans son trait et il n'a pas peur de la couleur, du fait qu'elle semble se détacher d'un fond plutôt monochrome. Je ne connais pas du tout l'histoire de ce peintre, mais je suis souvent touché par son travail.

S'il s'agit du Dominiquin, que je ne connaissais pas à vrai dire, hé bien, c'est une découverte plaisante. Ce tableau me plait beaucoup, mais j'avoue que je préfère la Suzanne de Stanzione que j'ai vue au Musée Fabre. Elle est plus sensuelle, mais surtout son beau visage impressionne. Beaucoup moins séduisante, celle du Carrache ne "fonctionne" pas par elle même. Elle fait partie de l'ensemble avec les deux vieux qui lui donnent tout son sens en fin de compte.

vendredi 29 mai 2015

Bacchanales de l'opéra Garnier



1888

Titre: Projet de décor pour le foyer de la danse de l'Opéra Garnier

Peintre: Gustave Clarence Rodolphe Boulanger

Notice sur Gustave Boulanger


Cette œuvre, cette esquisse m'a marqué par la modernité du trait de l'artiste. Elle se trouve à l'opéra Garnier. Je ne sais plus trop où exactement, mais je crois que c'est aux portes du musée de l'opéra.

Quoiqu'il en soit, l'état d'inachèvement de la fresque oblige l'œil à un effort d'imagination qui me chatouille d'aise. De plus, cela permet d'avoir une vue... comment dirais-je ? technique du travail de Boulanger. Quand je l'ai vu, j'ai été subjugué par la masse, la hauteur de l'ouvrage. Je ne savais pas ce qu'il représentait, son histoire. Sa nature, ni son auteur. J'ai eu à ce propos bien du mal à en retrouver la trace sur le net.

Ce qui m'a ensuite étonné autant que ravi, c'est le style du dessin de Boulanger. Je ne sais trop dire vers quoi il m'emmène, mais peut-être que les visages de ses personnages évoquent pour moi le trait de Milo Manara. La générosité des corps, l'opulence, les poses mélodramatiques et provocantes me suggèrent même Serpieri. Vous avez noté que cette œuvre réveille en moi les piquants souvenirs de lectures érotiques adolescentes, la bédé italienne exacerbant les fantasmes masculins, violents, accentuant la féminité des personnages, plongeant dans un imaginaire tout aussi irréel que passionné. J'aime l'outrance du trait qui fait ressortir la ligne claire et, dans le même temps, le déchaînement des désirs, des caractères. Le dessin laisse apparaître le mouvement, les volumes, l'incarnation et la violence, une tempête de gestes et de cris. C'est assez bien rendu.

Une très bonne idée que d'avoir exposé cette œuvre préparatoire. Je n'ai pas vu le travail fini ; je ne sais même pas s'il existe, peu importe. Cette "presque" fresque avec ses traits simples, son blanc léger et plâtreux se suffit à elle-même selon moi.

vendredi 12 septembre 2014

La sieste



déc. 1889 - janv. 1890

Titre: La sieste
Titre: La méridienne

Peintre: Vincent Van Gogh

Notice Orsay



Quitte à parler en inculte, juste en mateur amateur du dimanche, mieux vaudrait traiter d’œuvres peu ou pas connues, vous me direz. M'enfin, comme l'alligatographe se veut un blog qui interroge le ressenti personnel et ne veut pas établir un quelconque dogme, ni une référence sur le plan du goût, comme il s'agit en quelque sorte d'un journal de bord qui peut servir de boite à idées pour ses lecteurs, autant ne pas s'arrêter devant les œuvres des grandes artistes sous prétexte qu'ils sont trop connus, trop étudiés par ailleurs.

Le fait est là qui s'impose à moi : je suis entré dans cette salle du musée d'Orsay, une foule s'amassait presque devant chaque toile de Vincent Van Gogh et celle-ci irradiait. Littéralement, elle illuminait la salle. C'est un fait indéniable qui me parait inévitable et qu'il me faut souligner d'entrée. D'autant plus que je ne suis pas un fanatique de Van Gogh, mais cette toile m'a mis une claque.

C'est comme si les gens autour n'existaient plus. Comme si la lumière, la scénographie, je ne sais pas comment l'appeler, comme si tout le lieu, tout avait été construit pour mettre en valeur cette toile plus que les autres. Comme si on avait mis une grosse lampe derrière le cadre. La lumière naît du tableau. J'étais ahuri par ce phénomène bizarre et finalement très enveloppant, caressant, enivrant presque.

Les jaunes explosent et sortent de la toile. Les traits noirs qui dessinent les contours sont marqués, très nets, en contraste avec l'atmosphère de chaleur estivale, ensoleillée. On le voit particulièrement bien avec les lignes qui forment les silhouettes et les contours des vêtements, mais surtout les pieds nus du personnage masculin, et peut-être encore mieux le pied gauche spécifiquement. J'adore ce pied. Et croyez-le ou non, je ne suis pas fétichiste, mais alors pas du tout!

Ce que j'aime, c'est véritablement le contraste entre la lumière, l'éclat des jaunes, des bleus clairs et la précision du trait, comment le tracé se détache. Cela m'évoque je ne sais pourquoi les pieds des jeunes femmes de Botticelli, peintes sur fresque que j'ai vues il y a deux ans au Louvre. Merde, ça me fait penser que j'ai oublié d'aller les revoir lors de mon dernier passage au musée cet été! Quel con! Bon... revenons à cette toile dont le trait fait songer aussi à de la bédé, je pense au dessin de Bourgeon tout particulièrement, Bourgeon dont les femmes blondes sont botticelliennes en diable! On y revient donc. Voilà donc un enchaînement d'idées grossier, m'enfin, il est là, je vais pas vous mentir. Alors qu'est-ce qui fait lien dans tout ce foutoir? Les pieds du dormeur de Van Gogh ne sont pas ceux des belles donzelles de Botticelli ni de Bourgeon tout de même! Alors j'insiste sur ce trait, sur le fait qu'il est très net. On a l'impression qu'il a été posé sur la toile après le coloris, par dessus. Ce doit être tout connement une affaire de technique picturale qui échappe à ma connaissance et donc à mon entendement, mais toujours est-il que cela me plait énormément, que ça me touche, je reste scotché, fasciné par ce simple détail.

Cette histoire illustre également à merveille la nécessité absolue pour apprécier une oeuvre de la voir en vrai, "en toile et en pâte". Quelque soit le talent du photographe ou du réalisateur de films, il ne peut retranscrire parfaitement ce lien indéfectible qui se noue entre une oeuvre et son admirateur. Certaines créations semblent le faire sentir avec bien plus de force parfois. Cette sieste est prodigieusement explicite sur ce point, cruelle même. Je reste baba dans cette salle d'Orsay par cette lumière véritable, par la taille du cadre, par l'objet et sa façon matérielle d'être, de s'imposer dans la salle alors que je l'ai vu tant de fois sur papier sans qu'il m'interpelle particulièrement. Il a fallu que je sois physiquement devant pour ressentir sa chaleur.

Il y a quelques jours, dans un article sur un bijou-épingle de René Lalique exposé également à Orsay, j'ai fustigé l'obstruction du musée faite au public de capturer l'oeuvre en la photographiant, de se l'approprier. Je vais essayer de préciser ma pensée par rapport à cette nécessité de vivre l'oeuvre réelle. Voir l'oeuvre en vrai et la photographier pour garder un souvenir personnel ne sont pas incompatibles et je dirais même qu'ils peuvent se révéler indissociables. Certes, dans le cas de cette sieste de Van Gogh, je pense qu'il est sûrement difficile, voire impossible de photographier, de graver le ressenti. Mais de fait, il n'est jamais question de cela! Jamais je n'ai vraiment cru que la photographie pouvait sauvegarder de manière artificielle des sensations physiques éprouvées devant une oeuvre réelle. Je crois que c'est une illusion, très tentante il est vrai, de croire qu'on peut le faire. Aguichante illusion car l'espoir de capturer un détail, ou même l'ensemble de l'oeuvre, même s'il ne dure qu'un temps, participe de l'appropriation par le spectateur. Il participe aussi de la mémorisation de l'instant, de l'oeuvre elle même, de ce qu'elle produit comme émotion ou réflexion, de ce en quoi elle touche, interroge ou perturbe. Que l'on ait un crayon et un cahier ou bien un appareil photo, peu importe, si ce n'est la tentative d'inscrire tous ses ressentis quelque part pour qu'on puisse un peu plus tard en étudier les traces plus facilement à tête reposée, avec une attention soutenue vers l'objectif précis de la jouissance renouvelée. Forcément ce but n'est pas tout à fait atteint, mais l'élan vers cet objectif suffit déjà amplement à marquer un mouvement vers l'oeuvre. C'est ce qui compte, le trajet personnel. Et le fait est que le public n'oublie jamais dans ce processus qu'en photographiant l'oeuvre, il ne la reproduit pas réellement, mais reproduit une image imparfaite, incomplète d'une réalité qui reste à la fois au musée et mais même dans l'instant vécu, dans les secondes ou les minutes de contemplation. Il y a toujours le risque lors d'une nouvelle visite que ce que le spectateur avait vécu une première fois ne se réédite pas, que se soient évaporés ses précédents ressentis. Ce peut être le cas pour une toile ou une sculpture dans un musée comme pour un film au ciné. S'il vous plait, est-il possible de ne pas perdre de vue que le public amateur n'est pas a priori crétin? Ceux qui décident des politiques vis à vis du public dans les musées pourraient-ils également vivre avec leur temps en pensant dans son intégralité la relation qui se crée entre l'oeuvre d'art et le public, une relation d'amour, un rapport sensuel et affectif dans lequel la photo peut se révéler un moyen parmi d'autres de rendre cet amour plus tangible, surtout plus durable en construisant quelque chose d'intime qu'un tiers ne peut entendre?

Dans le cas de cette sieste, le tableau étant si célèbre, une recherche internet est plutôt facile pour dénicher des représentations bien précises. Mais pour le bijou de Lalique c'est une autre affaire et la plupart des œuvres du musée d'Orsay, c'est trop compliqué. Dans ces cas-là, l'appareil photo est d'un secours inestimable.

lundi 1 septembre 2014

Portrait de monsieur Bertin



1832

Portrait de monsieur Bertin

Peintre: Jean-Auguste-Dominique Ingres
Musée du Louvre



Je commence à peine à entrevoir et donc à comprendre l'histoire de la peinture française du XIXe, le grand, celui qui part de 1789 et se termine en 1914. Les inscriptions de cette histoire dans la politique et ses innombrables enjeux socio-économiques commencent progressivement à prendre un trait plus sûr, plus identifiable dans mon esprit. De David à Courbet ou Daumier, je vois à peine se distinguer l'évolution de ces différentes écoles, mais ma médiocre culture historique de l'art me permet encore de jouir d'une certaine innocence, de l'avantage d'avoir un regard un brin "puceau".

Je peux encore regarder leurs œuvres avec un œil vierge de tous les conflits ou aspirations divergentes que ces artistes ont connu et qui ont fait l'histoire de leur art. Aussi, je puis me dire amoureux de ce bon gros Bertin sans en mesurer nettement les raisons. C'est donc à un jugement partiel, surtout sentimental, non élucidé, non rationalisé que je me livre ici.

Pourquoi s'arrêter sur cette toile? Je ne sais pas bien. Où va se nicher la beauté? Parce que je le trouve "beau". Je mets des guillemets car en l'écrivant, cette dernière phrase me choque... Non, cet homme n'est pas beau. Il est gros, engoncé dans ses vêtements. Sa pose n'est pas vraiment majestueuse. Sans être avachi, on ne sent pas un corps dans sa pleine acception idéalisée, triomphant de sa perfection naturelle. Disons que les apparences ne sont pas sa préoccupation première et ça se voit. Son regard n'interroge pas les cieux ni une quelconque transcendance. Ni physiquement beau, ni spirituellement élevé, ni extase, ni grâce, que nous raconte ce Bertin et qui pourrait expliquer que je le trouve malgré tout cela "beau"?

C'est peut-être parce que justement il ne ressemble pas à ce que l'on a l'habitude de voir que son incongruité, son exception apparaît comme belle, irradiante? Comme le punk que le no-future rend beau. Par provocation, par opposition fondamentale, par la nouveauté, la bizarrerie, la monstruosité? Il est vrai qu'il est difficile de le louper dans le Louvre. Il est parmi les autres, mais reste à part. Je ne vois que lui, il accroche le regard, c'est irrésistible. Qui est ce bon gros gars, au milieu de tout ce Louvre? Hé... est-il si bon finalement? Quel est ce regard dur? Bertin est-il punk ou freak, Bertin est-il un ogre qui avale tout ce qu'il y a autour de lui? Je ne suis pas sûr que ces analogies soient judicieuses. Ça parait léger. Mais que j'ose écrire toutes ces conneries prouve bien que je suis infoutu de comprendre ce ressenti bel et bien présent et que cela me perturbe. Cette toile produit un truc dérangeant et agréable en même temps.

Regarde le tableau, mon grand, et demande toi ce qui t'interpelle. Sa main droite et son regard, son gros visage qui exprime quelque chose de pas très nettement définissable, mais cependant de puissant. Voilà ce qui me plait, c'est d'abord cette main, comme les serres d'un rapace, qui dit l'opulence et le sentiment de sécurité, arrogant et presque agressif du personnage. Quand on suit ce bras et qu'on se prend ce regard dans la gueule, on croit bien qu'il confirme l'affirmation de la main : "Monsieur Bertin est riche, puissant, sûr de lui et il vous emmerde!" Je ne connais pas monsieur Bertin. Ca se trouve, c'est un bon gars, qui n'a pas vocation à écraser la vermine, mais que voulez-vous, je n'y peux rien, je vois ça et je ne peux m'empêcher d'être fasciné et épaté qu'Ingres ait pu peindre tout ça, que ce "tout ça" soit vu et ressenti de cette manière.

Plus encore, ce ressenti aboutit à quelque chose d'étrange. Là où je devrais être dérangé par la morgue du personnage, je suis en fait d'abord intrigué, puis amusé. Ça doit être l'âge du tableau, la grande distance qui nous sépare du vrai Bertin. Il ne reste que cette trace. Il a existé un Bertin qui se la pétait un peu et qui s'est offert un portrait d'Ingres pour faire le kéké devant ses autres copains bourgeois? Si cette histoire que je me raconte approche un peu la réalité, il y a de quoi sourire. On peut alors trouver amusante, presque émouvante cette tentative puérile et pleine de fatuité de s'imposer par l'image, alors que le bonhomme est mort et enterré depuis belle lurette. L'agitation du monde à courte-vue a un caractère comique qui m'émeut parfois. Comme un petit insecte qui s'acharne à vouloir entrer dans la lumière de l'ampoule. C'est le cas ici.

Je suis parfaitement conscient que cette interprétation, cette construction peut à tout moment voler en éclat sur la révélation de la vérité historique de ce portrait, mais peu importe, je crois bien que la sympathique vanité de monsieur Bertin m'a irrémédiablement attaché à l'image du bonhomme. J'en garderai sans doute un lien, même si j'apprends la modestie du personnage. Depuis deux ans, Bertin veille sur moi chaque nuit, sur ma propre arrogance, collé sur le mur près de ma table de chevet, en bon père, sévère, physique, monument de fausse sagesse, rappelant que l'on est si peu de choses finalement.