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mardi 21 février 2017

Le client



2016

Titre original: Forushande
Titre francophone: Le client
Titre anglophone: The salesman

Cinéaste: Asghar Farhadi
Comédiens: Taraneh Alidoosti - Shahab Hosseini - Farid Sajjadi Hosseini

Notice SC
Notice  Imdb

Vu en salle

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Cela faisait déjà quelques temps que je n’avais pas vu un film d’Asghar Farhadi. Celui-ci ne figurera sans doute pas parmi ses meilleurs.

Néanmoins, par certains aspects, il reste solide, notamment grâce à un scénario assez bien ficelé. Certes, il n’est pas exempt de reproches à faire sur la fin. Le film s’étire en longueur avec un dénouement qui n’en finit plus de proposer des détails superfétatoires. Ce n’était pas nécessaire à la compréhension des enjeux.

Il n’en demeure pas moins que l’ambition obsessionnelle de Farhadi (dépeindre la sensation d'extrême tension allant jusqu’à l’étouffement) est une nouvelle fois au coeur du film. Peut-être même cette oppressante tension n’a-t-elle jamais été aussi longuement et fortement entretenue? Impossible de trouver un seul vrai temps de respiration : on reste accroché à son fauteuil, le souffle coupé par cette situation hyper malsaine dans laquelle vient se fourrer Emad (Shahab Hosseini) de manière tout aussi dramatique et compulsive.

Difficile d’en faire le reproche au cinéaste. J’imagine sans peine comment tous les rapports humains sont cadenassés sans cesse dans une société tenue par autant d’astreintes, comment cela peut déboucher sur des blessures et des situations aussi pesantes jusque dans les petites scènes (taxi, école, théâtre) où se manifeste toujours cette espèce de sclérose morale en continu. Tout dans le scénario nous le rappelle. La peur se loge partout, elle peut éclater à chaque instant, tout le monde l’éprouve. Comment ce fait pourrait-il échapper au film de Farhadi?

L’angoisse a toujours été et est toujours actuellement au cœur de son cinéma. Peut-être que la dérive d’Emad est ici essentielle, en corrélation avec le fossé qui se creuse entre lui et Rana (Taraneh Alidoosti)? Difficile de mettre en adéquation liberté intime, respect d’autrui et les questions d’honneur, la sévérité du système politico-religieux. Forcément, ce n’est pas sans perversion, violences et mise en péril des sentiments. Le film le montre assez bien.

Les trois acteurs principaux (Shahab HosseiniTaraneh Alidoosti et Farid Sajjadi Hosseini). On ne dira jamais assez combien Asghar Farhadi est un directeur d’acteurs impressionnant. Je suis toujours bluffé par ce que ses comédiens sont capables de donner et comment la caméra parvient à capter le moindre détail de leurs compositions. Pour quelqu’un comme moi qui adore cet aspect, c’est toujours un très grand plaisir que de voir ses films. Ce dernier ne déroge pas à la règle.

En raison de la fin ratée, ce film pourrait ne pas totalement convaincre, notamment en regard de la quasi perfection de certains autres films du cinéaste, cependant, il serait injuste de le condamner. Il mérite d’être vu, pour son efficacité et sa capacité à prendre le spectateur aux tripes, en soi expérience toujours remarquable, suffisamment rare pour le souligner.

mardi 2 juillet 2013

Le passé



2013

Alias: Le passé

Cinéaste: Asghar Farhadi
Comédiens: Bérénice Bejo- Tahar Rahim - Ali Mosaffa

Notice SC
Notice Imdb

Vu en salle



Maintenant que je suis devenu accro à Asghar Farhadi, j'attendais ce film "français" avec autant de hâte que d'appréhension. Est-ce qu'il allait maintenir cette tension dont il a su se rendre le maitre incontestable? Est-ce qu'il garderait cette maitrise du récit dans une langue qui n'est pas la sienne? Est-ce qu'il parviendrait à diriger aussi efficacement des acteurs étrangers?

Pour ce qui concerne la tension, je suis resté scotché à mon siège, comme d'habitude, tendu comme un string. Il continue à proposer un film dans lequel l'histoire vous prend aux tripes. Certes, on n'est plus dans le contexte social et politique oppressant de l'Iran actuel, mais comme dans "La fête du feu" Asghar Farhadi ausculte les relations de couple et en tire un suspense assez vite prenant.

Les mystères qui entourent tous les personnages (peut-être trop sur la fin?) laissent planer des sentiments inquiétants, où une certaine violence sous-tend les liens entre eux, violence qui finit par exploser par moments. C'est aussi un trait qu'il avait déjà dessiné dans A propos d'Elly, cette lente altération de l'image sociale qu'on se construit pour paraitre civilisé et qui se craquelle lorsque des drames viennent tout bouleverser dans le quotidien. Le piège dans lequel s'enferrent les personnages est aussi tortueux qu'à l'habitude.

Ce qui m'a le plus conquis c'est comment finalement toute cette histoire propose un regard sans jugement moral sur les relations entre les personnages. Personne n'est montré d'un doigt désapprobateur et la complexité difficile à gérer de ces liens affectifs, distendus mais pas rompus, montre naturellement comment tout s'imbrique parfois avec difficulté, notamment quand les gens communiquent mal. Ce n'est pas là grande découverte, mais le film raconte ça avec à la fois beaucoup de maitrise et d'efficacité.

Toutefois, peut-être pourrait-on arguer que les derniers développements, les ultimes rebondissements étirent-ils le film de façon un poil démesurée? On aurait pu indéniablement se passer du dernier quart d'heure à l’hôpital par exemple.

L'usage de la langue française ne semble pas avoir été un obstacle. Étonnant. Farhadi a travaillé avec Massoumeh Lahidji et les comédiens sur les dialogues, ce qui rend le scénario tout à fait acceptable sur le plan linguistique. Étonnant et heureux.

Sur le plan de la direction des acteurs, je suis un peu plus partagé. C'est sans doute là que se trouve ma part de réserve. Je l'aime bien ce film. Plus le temps passe et plus je l'apprécie, mais je n'ai pas eu le coup de foudre que j'ai pu ressentir sur ses films iraniens et je subodore que c'est bien du côté des comédiens que ça ne produit pas un plaisir de grande intensité. Mais j'imagine que ce ne doit pas être évident d'être dirigé par un non-francophone. J'ai l'impression que le lien entre le cinéaste et sa troupe n'est pas aussi étroit qu'il avait pu l'être sur les films précédents.

Il n'y a guère que Tahar Rahim qui troue le popotin. Il a quelques scènes pas piquées des hannetons, tout en retenue, "cocotte-minute style" mais qui n'explose pas. Il doit absolument intérioriser des émotions plutôt fortes. Il réussit haut la main et m'a véritablement remué, communiquant son malaise avec une facilité déconcertante.
Ali Mosaffa joue dans une langue étrangère, mais a un rôle plus simple, sans les pires émotions à gérer comme ses camarades en plein tourment.

Bérénice Bejo se coltine un rôle pas évident, jouant les montagnes russes, entre mutisme contrôlé et explosions hystériques. Elle ne m'a pas spécialement touché, ce qui m'enquiquine sur les bords. J'ai un peu de mal à comprendre sa palme. Passons (toujours la même histoire avec les palmarès).
Les enfants sont corrects. On a connu pire.

M'enfin, on est loin des épatantes distributions des films précédents. Mais peut-on exiger de Farhadi qu'il nous fasse des strikes à chaque film? A-t-on légitimement le droit de taper sur ses films sous prétexte qu'ils ne sont pas aussi bons que leurs devanciers?

Un bon Farhadi qui fait espérer, à une bonne adaptation à la France, à ses comédiens, et qui fait entrevoir de futures bonnes inspirations. Asghar Farhadi est d'ores et déjà un cinéaste majeur. J'espère juste qu'il ne va pas se perdre hors d'Iran.

Mini trombi:
Pauline Burlet:


mercredi 28 novembre 2012

La fête du feu



2006 

Titre original : Chaharshanbe-soori
Alias: La fête du feu
Alias: Fireworks Wednesday

Cinéaste: Asghar Farhadi
Comédiens: Hediyeh Tehrani -

Notice Imdb
Notice SC

Vu en dvd





Dans la filmographie d'Asghar Farhadi que je découvre peu à peu en ce moment, ce film-là me semble différent, moins tourné vers la spécificité politique et religieuse de son pays. Alors que dans les autres films que j'ai vus ("Les enfants de Belle Ville", "À propos d'Elly" et "Une séparation") il met en place une grosse machinerie à broyer les individus, à les piéger corps et âme, ici il s'intéresse à des thématiques plus universelles : la dégradation de l'amour conjugal et les affres qui en découlent, comme l'infidélité, la jalousie, les soupçons, le sentiment d'abandon et les mensonges. Ces troubles déchirant le ventre tenaillent Mozhde (Hediyeh Tehrani).
Elle a cru entendre son mari et sa voisine par le conduit d'aération de la salle de bain. Dès lors, son monde s'écroule. En Iran, plus que partout ailleurs peut-être, il parait difficile aux femmes d'être indépendantes vis à vis des hommes. "Que vais-je devenir?" n'est pas une phrase qu'elle prononce en vain.

Farhadi pose la question du couple dans son ensemble car, outre celui de Mozhde qui bât de l'aile, on entre dans le film avec un couple de jeunes qui sont tout juste fiancés. Ils sont heureux, souriants à la vie et confiants pour leur avenir. Le bonheur se lit sur leurs visages. Enfin, le film se termine sur l'image d'un homme séparé de sa femme. Il dort dans sa voiture en attendant que leur fille ait passé le jour de l'an chez sa mère. Voyez comme on est loin des problématiques de relations sociales et de l'emprise de la société sur l'individu. C'est la cellule familiale qui est interrogée, dans son intimité. Comme elle pourrait l'être aussi bien en Iran qu'au Japon ou en France. Il est juste question de relation entre un homme et une femme.

Si l'on n'a pas droit à la démonstration de l'écrasante pesanteur du système politique iranien, le film n'en démontre pas moins le savoir-faire de son réalisateur en matière de mise en scène. C'est encore un très bon film. Le discours est moins politique, mais la narration cinématographique est toujours aussi aboutie, d'une robustesse encore sans esbroufe visuelle. Avec une simplicité dans les cadrages, Farhadi investit son récit très proprement et fait en sorte qu'il ne cède jamais à un quelconque ennui. Le spectateur reste attentif, essayant d'abord de comprendre à quoi il assiste. Cela peut paraitre confus de prime abord, puis, petit à petit, les éléments explicatifs sont amenés et recollent les morceaux.

Surtout, on retrouve cette direction d'acteurs que je n'hésite plus à qualifier de "phénoménale" : les comédiens sont habités par les personnages. C'est toujours d'une justesse effarante. Leur précision de jeu associée à la simplicité des cadrages, ainsi qu'à un montage très classique, serein, nous donnent le sentiment d'être les témoins d'une histoire vraie, d'être au cœur d'un documentaire. Bien entendu, cela visse le public à son siège, avide de comprendre, puis de connaître le fin mot de l'histoire.

Comme toujours avec Farhadi, le film fait forte impression grâce à la mise en scène épurée, nette et ses acteurs incroyablement bons.

Trombi:
Taraneh Alidoosti:

Hamid Farokhnezhad:

 Pantea Bahram:

 Sahar Dolatshahi:

 Hooman Seyadi ou Hooman Seyedi :

samedi 25 août 2012

À propos d'Elly



2009

Titre original : Darbareye Elly
Alias: À propos d'Elly
Alias: About Elly


Cinéaste:
Asghar Farhadi
Comédiens:
Merila Zare'i - Peyman Moaadi -Shahab Hosseini - Mani Haghighi -Taraneh Alidoosti -Golshifteh Farahani


Notice Imdb


Vu en streaming



Le doute n'est plus permis : "A propos d'Elly" est le troisième film d'Asghar Farhadi que je vois après "Une séparation" et "Les enfants de Belle Ville" et il corrobore le fait que le cinéaste est extrêmement doué, un artiste de premier plan, un maître dans l'art narratif cinématographique.Taraneh Alidoosti:

Sur les deux premiers films que j'ai vus, j'avais été frappé par la progression implacable (un terme qui revient souvent avec ces scenarii) du récit, ce cheminement kafkaïen que suivaient sans contrôle les personnages, enchaînés à un destin merdique. Il y avait dans cet horizon cloisonné un arrière-goût de film noir où la lourdeur de l'administration et/ou de la tradition clouait les personnages sur cette pente funeste.
"A propos d'Elly" est à bien y regarder pourvu de différences assez marquées sur ces points. On ne retrouve cet acharnement des évènements contraires que sur la dernière demi-heure (le film dure presque deux heures). Tout le reste du film se consacre à dépeindre par le menu la déliquescence des apparences d'un groupe d'amis étudiants en week-end dans une villa de bord de mer. Une invitée disparait. L'on pense qu'elle s'est noyée en voulant sauver un enfant.Shahab Hosseini:

Mais des questions surgissent, des jugements, de la violence et les rapports véritables sous-jacents dans la société iranienne entre hommes et femmes émergent très progressivement, de plus en plus opposés. Peu à peu, l'exclusion et la différence se font jour, les rapports se durcissent et ceux que l'on croyait ouverts, heureux, ces intellectuels modernes que l'on aurait pu croire sortis d'un film de Woody Allen laissent craqueler le vernis des faux-semblants. L'angoisse et les interrogations sans réponse suscitées par la disparition d'Elly font poindre la violence sociale des hommes envers les femmes. Les rires, les danses, les youyous décontractés s'évanouissent, les regards se tordent de trouille et les voix crient de plus en plus, chacun cherche à fuir ses responsabilités, des coupables chez l'autre. Finalement des poings s'abattent.
Je ne sais pas ce qui est le plus formidable dans ce film de la tension? Est-ce cette incroyable capacité d'écriture, tellement finement ciselée qu'on est pris à la gorge par le récit et emporté avec une rare maitrise par ce flot d'angoisse? Est-ce la mise en scène très intelligente, contrôlée, pleine de contraste entre les coupures, les saccades et les longs plans, les changements de rythme, de mouvements? Ou bien est-ce cette direction d'acteurs toujours aussi excellente, d'un réalisme époustouflant?Golshifteh Farahani:

Quoiqu'il en soit, on a la sensation d'être devant un chef d’œuvre pictural, sur lequel on voit posé le travail minutieux de l'artiste qui a porté mille détails à notre attention, mille petites touches de peinture d'une extrême méticulosité, pleins de nuances, afin d'accéder à la reproduction du réel, pour mieux ravir les spectateurs, leurs émotions, leurs pensées. Il y a du Hitchcock chez Farhadi, une maestria dans la conduite de la narration qui permet une manipulation du public.

On sort toujours estomaqué par la violence qui subissent les personnages et tendu par ce récit haletant. On ne peut pas parler de suspense, ce n'est pas le mot, on se doute qu'Elly est morte noyée, cela ne situe pas à ce niveau de lecture, on est juste pris dans un étau qui ne se desserre jamais, dans lequel les femmes et les hommes -mais les femmes plus que les hommes- semblent écrasés en permanence.

La démonstration est stupéfiante. Comment peut-on avoir le choix, être libre dans une société pareille? Comment peut-on exister dans cet Iran mortifère? C'est un film qui montre une société épouvantablement dure et sèche. Du bois mort.Peyman Moadi:

Avec ce nombre relativement important de personnages réunis dans une sorte de "Huis-clos" en bord de mer, on peut en effet songer à une pièce de théâtre et plus particulièrement à celle de Sartre. Les thèmes existentialistes sont interrogés.

Le fait de retrouver beaucoup de comédiens vus sur d'autres films de Farhadi me fait penser à une troupe de théâtre. La précision de leurs jeux et la part d'improvisation qu'ils semblent s'accorder, la belle liberté que le cinéaste leur laisse pour rester dans leurs personnages donne le sentiment très net d'être devant un ouvrage collectif, bâti laborieusement à plusieurs, d'essence théâtral mais filmé avec brio.

Ne nous méprenons pas : l'objet cinématographique est bel et bien là. La qualité des prises de vue, l'intelligence et la variété des cadrages, le sens évident de cette mise en scène, en permanence contrôlée, ajustée, jouet d'une réflexion claire et nette ne laisse place à aucun doute là-dessus : c'est un très grand film, la création d'un grand maître du cinéma de la tension et de la violence.Ra'na Azadivar et Ahmad Mehranfar:

J'ai songé également à Haneke, par la bande sans doute, par le malaise ressenti, notamment à "Funny Games", cet étouffement qui vous prend petit à petit et ne vous lâche pas. Je ne vous cache pas qu'on ne sort pas tout à fait frais comme un gardon de ce genre de film, on est choqué. Cela ne se dissipe qu'avec difficulté. Le film est si bien construit qu'il est impossible de s'en sortir indemne. Et pourquoi devrait-on sortir de la séance sans dommage? Farhadi nous a tellement impliqué dans l'histoire qu'on n'a pas spécialement envie de prendre cette histoire à la légère et de s'en détacher comme un rien.

mardi 21 août 2012

Les enfants de Belle Ville



2004

Titre original: Shah-re ziba
Alias: Les enfants de Belle Ville
Alias: The beautiful city


Cinéaste:Asghar Farhadi
Comédiens:
Babak Ansari -Faramarz Gharibian -Ahu Kheradmand -Hossein Farzi-Zadeh -Taraneh Alidoosti

Notice Imdb
Notice Jack Sullivan

Vu en salle



De Farhadi, je n'ai vu que le formidable "Une séparation", marquant coup de poing kafkaïen dans un Iran étouffant où les rapports humains sont déchiquetés par la machine politico-religieuse qui enserre toute la société.
Et en découvrant cette œuvre précédente, les similarités dans l'écriture comme dans la thématique, me sautent au cervelet. Surtout cette capacité que Farhadi a de mettre en place très progressivement mais avec une redoutable implacabilité les rouages insensibles d'une machinerie politique et sociale qui parait à mes yeux gigantesques comme insensés. Si j'avais un seul argument à faire valoir pour promouvoir l’œuvre de ce cinéaste, c'est bel et bien cette qualité d'écriture qui me stupéfait une nouvelle fois.

De même que sur "Une séparation" je suis également cueilli par l'interprétation. Je serai un poil moins enthousiaste pour Babak Ansari qui laisse paraitre les défauts de sa jeunesse en quelques traits simplistes ou trop appuyés.

Mais Taraneh Alidoosti, éblouissante de détermination, de beauté face à l'horreur de sa situation, sait aussi accepter un amour naissant avec beaucoup de naturel et de charme. Elle est remarquablement précise, toujours très équilibrée.
Faramarz Gharibian, un acteur dont le rôle est ô combien périlleux à maintenir dans des tonalités crédibles, s'en sort plus que haut la main. Cet acteur, aux faux airs de "vieux" Cary Grant, laisse passer énormément de douleur et de réflexions pénibles dans son regard, tout en faisant montre d'une judicieuse économie expressive. Épatante découverte, la plus explosive pour ma part sur ce film.
L'histoire est une tragédie de l'absurdité dans laquelle le quotidien dans l'Iran actuel peut se fourvoyer, à cause du poids jamais chancelant d'un régime très encadré et cloisonné. Le droit islamique (ici plutôt la loi du Talion, suivie à la lettre) maintient des logiques sociales et religieuses ineptes qui produisent des situations inextricables. L'absurde poussé jusqu'à son extrême logique peut amener les hommes à se comporter de manière aussi affreusement imbécile. Pourtant, la situation s'envenime d'elle même, sans que l'on puisse suggérer que Farhadi critique la religion, le régime politique ou la tradition en général. Au contraire, l'imam du quartier parait le seul à faire preuve d'ouverture d'esprit et de tolérance, fermant les yeux sur le blasphème proféré par un père en deuil, ivre et torturé de douleur d'avoir perdu sa fille. C'est bien l'enchainement des situations qui produit une violence incroyable, cette évolution étant parfaitement logique. Inattaquable, encore une fois, Farhadi évite tous les écueils de critique morale possible. Il ne fait que raconter une histoire, sans juger ni des uns, ni des autres, ni même du système politique à l'origine de tous ces troubles. Au public de faire la part des choses et des liens entre causes et effets.

Afin d'éviter la mort d'un être cher, on en vient à détruire les sentiments personnels et intimes les plus profonds, la moindre des libertés, celle d'aimer. Dès lors, rien d'étonnant à ce qu'un personnage qui avait semblé plein d'attention et de sensibilité, un éducateur dans une prison pour jeunes, conciliant et compréhensif, en vienne à tirer les conclusions les plus rétrogrades de cette histoire écœurante : le sacrifice est la solution inéluctable.

Comme dans "Une séparation", la société semble rivetée, emmurée dans un ensemble de brutalités permanentes auxquelles il est difficile d'échapper. Pour les femmes, nulle possibilité d'éviter quoique ce soit : une vie de femme vaut la moitié de celle d'un homme, cela met la barre très bas par conséquent.

Étouffant, le scénario ne nous épargne pas grand chose. A chaque moment où les personnages croient sortir la tête de l'eau, un évènement vient la leur remettre dans le seau. Cette impuissance est soulignée par la force de conviction de Al'a (Babak Ansari) qu'il parvient à insuffler à Firoozeh (Taraneh Alidoosti). Cette ténacité, cette abnégation constamment éreintées par les circonstances contraires incitent à classer ce film parmi les films noirs modernes. En effet, rien n'est épargné à ces deux héros en quête de survie. A chaque étapes que l'on croit décisive vers la réussite, la laborieuse construction s'écroule, jusqu'à cette voie sans issue qu'il semble impossible d'éviter.

Encore un coup de massue sur la tête, pour les personnages, comme pour le public. Je suis très heureux d'avoir découvert ce cinéaste. Il est foutrement efficace, son cinéma est redoutable, d'une puissance rare.

jeudi 14 juillet 2011

Une séparation



2011

Titre original: Jodaeiye Nader az Simin
Alias: Une séparation

Cinéaste:
Asghar Farhadi
Comédiens:
Leila Hatami -Peyman Moaadi -Sarina Farhadi -Sareh Bayat


Notice Imdb
Vu en salle



En voilà un qui ne vole pas ses récompenses, triplé à Berlin! Le film est tellement bien écrit, mis en scène et joué qu'on se demande comment cette pléthore de talents évidents aurait pu échapper au jury.

Avec une force implacable, l'histoire avance et les personnages semblent pris dans une toile inextricable. Cet écheveau kafkaïen que Farhadi met en place petit à petit se sert de la séparation d'un couple comme support. Nader (Peyman Moaadi) et Simin (Leila Hatami) sont sur le point de divorcer. Elle veut quitter le pays, lui, préfère rester pour veiller sur son père victime de la maladie d'Alzheimer. Afin de pallier l'absence de sa femme, retournée chez sa mère, il embauche une femme de ménage très croyante. Il met sans le savoir le doigt dans un engrenage infernal qui le mène droit devant un juge, puis en prison.
Farhadi utilise donc cette rupture pour peindre en toile de fond l'oppression que vivent les iraniens au quotidien. La théocratie étouffante du régime est partout présente dans les rapports sociaux. Elle écrase les individus qui vivent continuellement dans la peur. La société ultra-répressive que ce soit sur le plan politique ou religieux, intimement mêlés, ne laisse pas la moindre possibilité de respirer. De ce fait, les gens développent entre eux une violence qui explose souvent de manière douloureuse, comme arrachée, dans des moments impulsifs. Les personnages ne se laissent pas aller à la violence ; la situation leur impose d'expulser leur malaise. Le film montre très bien ce côté suffocant, cet immobilisme désespérant grâce à un scénario très bien écrit où les situations s'enchainent les unes aux autres sans laisser le moindre répit aux personnages.
La caméra vacille souvent, à l'épaule mais ne lâche jamais les acteurs. Très peu de scènes d'exposition. Les scènes extérieures sont elles aussi très agressives, que ce soit dans la circulation dense des rues ou dans les allées surpeuplées du tribunal. Rares sont les espaces et les instants où les personnages peuvent prendre le temps de souffler, de se retrouver. Ils n'en ont pas la permission. Les voisins, les créanciers, les policiers, les juges, les conjoints, les enfants, les collègues posent tous un regard réprobateur et inquisiteur. Au sein même de la famille en rupture, ce sentiment de ne pas s'appartenir crée l'espèce d'état d'asphyxie dans lequel tous les personnages se retrouvent piégés, à cause de la société cadenassée, de la religion qui suscite peurs et superstition ou bien à cause des mensonges qu'ils ont fait pour se protéger.
Dommage collatéral le plus touchant, Termeh (Sarina Farhadi), la fille de Nader et Simin, est en quelque sorte celle qui est la plus abimée par ces mensonges. Du moins la voyons-nous quitter le monde de l'enfance tellement brutalement en découvrant le mensonge de son père et de la façon dont sa mère l'utilise pour échapper à cette situation que ce personnage parait incarner le mieux la violence de ces séparations, celle de ses parents mais également celle que le système politique et religieux inflige à la société iranienne, tiraillée par ces restrictions et aliénations insupportables.
Deux histoires parallèles en apparence se mêlent et se nourrissent d'elles mêmes, la privée et la publique suivent la même ligne, celle d'une fracture qui parait impossible à ressouder. C'est admirablement foutu car inattaquable. Les autorités auraient bien du mal à fustiger ce film car il ne les critique pas de manière directe mais dépeint une réalité qui se révèle effrayante. Malin.
Comme le jury de Berlin l'a fait, il faut absolument souligner le jeu formidable de réalisme des comédiens. Tous. Extraordinaires. Je suppose que Farhadi doit beaucoup à ses acteurs. La justesse de leurs jeux, l'intensité qu'ils mettent donnent sans aucun doute le rythme du récit et forcent l'attention du public, subjugué par l'impact, la puissance de conviction. J'en reste baba, épaté. Bravo!
Ce thriller social plus que romantique, assène avec une belle maitrise une image iranienne dévastatrice, coup de poing, car j'ose la croire vraie. Mais au-delà du message politique, le travail est tellement bien fait que cinématographiquement, c'est aussi une très belle œuvre d'écriture scénique. J'aime beaucoup. Ébloui.