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CANNES 2023 Semaine de la critique

Amanda Nell Eu • Réalisatrice de Tiger Stripes

“En tant que femmes, nous devrions être fières de nos corps”

par 

- CANNES 2023 : La réalisatrice prouve dans son premier long-métrage que toutes les filles devraient exhiber leurs rayures de tigres et tout faire pour retrouver la joie

Amanda Nell Eu • Réalisatrice de Tiger Stripes

Tiger Stripes [+lire aussi :
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interview : Amanda Nell Eu
fiche film
]
est le premier long-métrage d’Amanda Nell Eu. Il a été présenté lors de la Semaine de la critique à Cannes. Dans ce film, aussi drôle qu’effrayant, la réalisatrice dresse le portrait de Zaffan (Zafreen Zairizal), une jeune fille qui a du mal à gérer la période de la puberté. Il faut dire que les changements qu’elle subit n’ont rien à voir avec ceux des autres filles de son école. Elles vont d’ailleurs bientôt pouvoir l’entendre rugir.

Cineuropa : L’expérience que vous évoquez ici est tellement universelle. C’est triste de voir à quel point ces changements physiques peuvent s’avérer difficiles pour les filles.
Amanda Nell Eu : Tout est parti de ma propre expérience. Je me souviens avoir été terrifiée par les changements auxquels mon corps était soumis. J’avais l’impression d’être dans un film d’horreur. J’étais une personne un jour, et le suivant, je n’étais plus la même. J’espérais que tout cela allait disparaître.

C’est presque étrange de ressentir de telles émotions envers son propre corps. Je voulais parler de l’insécurité que beaucoup de filles ressentent, insécurité qui les suit quelquefois dans leur vie d’adulte. Plus tard, en discutant avec les comédiennes, je me suis rendu compte qu’elles redoutaient encore ces changements.

C’est exactement ça : elles "redoutent" ces changements. C’est pourquoi les codes de l’horreur peuvent être un excellent moyen de les aborder. Même si vous ne devenez pas un monstre, vous avez l’impression d’en être un.
Effectivement. Ici, je voulais aller plus loin et voir comment elle, et ses camarades allaient gérer la situation, dans la mesure où elle devient véritablement un monstre. Chez nous, les contes populaires et les superstitions sont nombreux et beaucoup s’inspirent du mythe du tigre-garou, même s’il s'agit de tigres qui se fondent dans la société humaine. J’ai inversé ce mythe, parce qu’en ce qui la concerne, elle veut rompre les chaines que la société lui impose, elle veut se libérer et se reconnecter à la nature.

Certains passages, qui vont de la relation distante qu’elle entretient avec sa mère au harcèlement qu’elle subit à l’école, sont assez durs. Mais le film déborde également d’une joie qui émane en grande partie de Zafreen.
C’est vraiment ce que je voulais. En dépit de tout ce qu’elle traverse, de toute cette violence et cette noirceur, il s’agit ici de retrouver la joie. Il y a un sentiment d’affranchissement à la fin. Elle n’est pas seule, elle est fière et elle n’a pas peur de relever des défis.

Il ne fallait pas que ce soit trop sombre, car, en tant que femmes, nous devrions être fières de nos corps, fières de nous. Je pensais au conte du Vilain petit canard. Cette famille a un enfant différent des autres. Sa mère essaie de la faire rentrer dans une case, mais c’est peines perdues, car, de toute évidence, son enfant est un cygne. Et c’est en essence ce dont il est question dans Tiger Stripes. Nous avons fait beaucoup d’ateliers, et chaque fois Zafreen affichait cet enthousiasme et cette douce insolence. Je savais qu’elle y prendrait beaucoup de plaisir. Tout ce que j’avais à faire, c’était de lui permettre de se libérer.

Vous avez intégré dans le film un certain nombre de vidéos filmées avec un iPhone. Pour quelles raisons ?
Les réseaux sociaux occupent une place prépondérante dans nos vies. Il est impossible de leur échapper. Les jeunes filles grandissent et se construisent en se voyant sur un écran, en se montrant. À leur âge, on s’affichait moins. Je me contentais de me regarder dans le miroir. Aujourd’hui, nous publions nos moindres faits et gestes. Nous recherchons plus de "likes", mais aussi l’admiration des autres. C’est également le cas pour l’homme qui l’exorcise plus tard dans le film, lui aussi est en quête de pouvoir.

Ses méthodes rappellent les procès en sorcellerie et l’hystérie, la manière dont les femmes sont perçues et celle dont les autres essaient toujours de les "guérir" de quelque chose.
Je me suis beaucoup documentée sur le sujet de l’hystérie. Nous avons beaucoup de cas répertoriés dans les écoles, certaines des filles avec qui j’ai travaillé avaient des histoires de ce genre à raconter. Personne ne sait pourquoi cela se produit, mais cela concerne toujours les communautés très unies et en général plutôt les femmes et les filles. Je cherchais un moyen d’évoquer ce phénomène.

Il y a de nombreuses histoires sur la sororité aujourd’hui, sur les femmes qui se soutiennent coûte que coûte. Vous montrez que ce n’est pas si simple. Les filles peuvent être méchantes entre elles.
C’est une réalité, c’est notre réalité. L’amitié féminine peut être si compliquée. La jalousie se mêle à la haine et à l’incompréhension. Rien ne change ! C’est ce que je voulais explorer. Je voulais également montrer à quoi ressemblait le soutien, le vrai, mais aussi le véritable amour entre amies.

(Traduit de l'anglais par Karine Breysse)

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