Isabelle Fauvel • Directrice, Silence&Conversation
"Il s’agit de remettre la mise en scène au centre de l’aventure du développement, de servir une vision"
par Valerio Caruso
- La créatrice de la première société dédiée au développement de films nous parle sur sa nouvelle initiative, qui propose une approche alternative
Avec Silence&Conversation, Isabelle Fauvel propose une approche alternative au développement de projets cinématographiques, en réaction à une industrialisation croissante des formations et à un formatage des récits.
Cineuropa : Après 32 ans à la tête d’Initiative Film, vous avez choisi de créer Silence&Conversation. Quelles évolutions dans les dispositifs actuels de formation, workshops et labs vous ont poussée à proposer une nouvelle approche ?
Isabelle Fauvel : Initiative Film, que j’ai créée en 1993, a exploré toutes les facettes du développement. En parallèle, j’ai été impliquée dans un grand nombre de workshops et de labs, ce qui a été une expérience formidable et très complémentaire à mon travail de consultante auprès des producteurs et talents internationaux. Jusqu’à ce que, progressivement, je vois arriver des pratiques de plus en plus "corporate" : team building et "matières obligatoires" à aborder même quand cela ne fait pas sens avec les projets sélectionnés. Ne voyant aucun bienfait apporté par ces méthodes sur les projets, j’ai décidé de me retirer progressivement des lieux où celles-ci étaient pratiquées et de ne rester que là où j’avais le sentiment de pouvoir encore y échapper.
Réfléchir à de nouvelles approches s’est révélé comme une évidence quand j’ai réalisé que si professionnels et cinéphiles pleurent - à juste titre - la perte de cinéastes tels que récemment David Lynch, peu de structures ou de commissions aujourd’hui laisseraient passer leurs scripts s’ils étaient signés par de jeunes talents. Au mieux on ferait réécrire, quitte à les "formater" au pire ils seraient écartés.
Vous mettez en avant le risque croissant de formatage des talents et des projets. Quels sont, selon vous, les signes les plus visibles de ce formatage dans le cinéma d’aujourd’hui, et comment Silence&Conversation entend y remédier ?
Les signes sont assez évidents. Si techniquement les scripts sont effectivement mieux écrits, obéissant plus ou moins volontairement aux mêmes règles, ils finissent par avoir une grammaire commune qui rend les histoires souvent prévisibles, plus lisses et qui exclut les projets dont l’imaginaire ne peut obéir à ces règles proposées avec insistance, voire imposées. Parfois même, des thématiques sont exclues au profit d’autres plus consensuelles.
Je ne prétends pas que Silence&Conversation puisse remédier à un système d’autant qu’il semble convenir à certains. Il est question ici plutôt d’ouvrir une autre voie, proposer une alternative comme il en existe d’ailleurs déjà quelques-unes. Pour moi, il s’agit surtout de remettre la mise en scène au centre de l’aventure du développement, de servir une vision.
Quel que soit le respect que j’ai pour le scénario et le travail scénaristique, aujourd’hui, évoquer la mise en scène se fait rare, tant l’obsession du "script parfait" prend de place et quand cette perfection relève plus d’une appréciation technique (lisibilité, compréhension, empathie pour les personnages…) que de se demander si le script correspond bien à ce dont réalisateurs ou réalisatrices ont besoin pour le film qu’ils portent en eux.
Bref, j’ai eu le sentiment qu’on finissait par accompagner les talents pour répondre aux besoins de l’industrie et non aux besoins propres du projet, alors que pour autant, les projets qui se plient à ces nouveaux diktats ne convainquent pas davantage le public.
Pourquoi avoir appelé cette structure Silence&Conversation ?
Le monde contemporain laisse peu de place au silence, or le silence, même s’il peut faire peur, est essentiel à la création. Ce sont les voix intérieures des talents qu’il s’agit d’écouter avant de laisser chacun s’exprimer sur ce que l’autre pourrait ou devrait faire. Et la notion de conversation est évoquée en opposition au bavardage parasite qui envahit l’espace public.
Silence&Conversation est le nom du premier workshop conçu en réponse à la tyrannie de l’opinion, l’interventionnisme débridé qui souvent crée une sorte de cacophonie et finit par influer sur les contenus et les modes de narration. Quatre autres workshops, dont un qui met la cuisine au centre du travail, et un autre qui tisse des liens entre dramaturges et cinéastes, constituent des initiatives légères et à la demande qui peuvent être implantées un peu partout et pour lesquelles nous cherchons encore des lieux et des partenaires. Le lieu magique de Marianne Khoury au pied des pyramides de Dahchour, en Egypte, devrait déjà accueillir un premier atelier à la fin de l’année.
Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.