Christophe Leparc • Directeur, Cinemed
"On rencontre aux Cinemed Meetings des talents qu’on ne connaissait pas encore et qu’il sera intéressant de suivre"
par Fabien Lemercier
- Impact des conflits actuels, tendances géographiques, naissance des projets : le directeur du Festival Cinéma Méditerranéen de Montpellier décrypte la 46e édition
Pilote depuis dix ans du Cinemed - Festival Cinéma Méditerranéen de Montpellier, Christophe Leparc (par ailleurs secrétaire général de la Quinzaine des Cinéastes depuis 2008) évoque la 46e édition (lire l’article) qui se déroulera du 18 au 26 octobre.
Cineuropa : Quel est l’impact sur la production cinématographique du conflit qui perdure à l’Est du bassin méditerranéen ?
Christophe Leparc : Nous avons reçu un bon nombre de courts métrages et de projets palestiniens, et nous allons projeter en compétition Vers un pays inconnu [+lire aussi :
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fiche film] de Mahdi Fleifel et en avant-première les documentaires No Other Land [+lire aussi :
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fiche film] et Voyage à Gaza. Paradoxalement, il y a eu une baisse quantitative des propositions israéliennes et la qualité n’est pas non plus vraiment au rendez-vous. Donc cette année, le Cinemed présentera peu de films israéliens, hormis un court et un projet, sans que cela soit du tout notre volonté car notre sélection repose la qualité des œuvres sans jamais céder à une quelconque censure ou auto-censure, quel que soit le pays d’origine des films. Mais on ne peut que constater que le cinéma israélien n’est pas très en forme en ce moment alors qu’au Liban par exemple, il y a beaucoup de projets très intéressants et beaucoup de tournages récemment (le premier long de fiction de Cyril Aris, le second long de Nadim Tabet, etc.). Par ailleurs, j’ai l’impression que les talents du Moyen-Orient ont réussi, grâce aux rencontres professionnelles des festivals, en premier lieu les Cinemed Meetings mais aussi Djeddah, Doha, etc., à trouver des partenaires en production pour que leurs projets se fassent. En revanche, on sait que le ministère de la Culture de l’actuel gouvernement israélien est très regardant sur la nature des projets. Et il y a aussi une sorte de désarroi des cinéastes israéliens qui pèse peut-être sur leur inspiration. Tout cela est très sensible et ces conflits nous dépassent. Ce que nous pouvons faire, c’est permettre à tous ces auteurs de continuer à s’exprimer, présenter leurs films et leurs projets, et toujours favoriser le dialogue malgré ce qui se passe et qui est terrible.
Après plusieurs années de montée en puissance à l’affiche des grands festivals, le cinéma du Sud du bassin méditerranéen semble connaître un petit essoufflement. Est-ce conjoncturel ?
Le Maroc reste assez dynamique et c’est pour cette raison que nous consacrons cette année un focus à son jeune cinéma car beaucoup de ses réalisatrices et réalisateurs sont entre leur premier et leur second longs comme Meryem Benm’Barek qui vient de terminer le tournage de Derrière les palmiers (article), Sofia Alaoui, Yasmine Benkiran, ou Ismaël El Iraki qui prépare son second long. Cela foisonne au Maroc car il y a une certaine stabilité du financement du Centre du Cinéma national et une sensibilité des coproducteurs européens à l’égard de ces jeunes cinéastes iconoclastes qui n’hésitent pas à s‘emparer des codes du genre. En Tunisie, c’est un peu plus complexe car la politique en faveur du cinéma n’arrête pas de changer, mais les grands talents comme Mehdi M. Barsaoui dont nous présentons Aïcha [+lire aussi :
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fiche film] en compétition, arrivent quand même à émerger. Le problème, même si Sofia Djama prépare son second long par exemple, c’est l’Algérie qui est d’une grande instabilité à l’égard du cinéma, ce qui rend délicat le financement des films. Donc globalement, cette année est sans doute un creux conjoncturel pour le cinéma du Sud du bassin méditerranéen car beaucoup de projets sont en cours de concrétisation.
Votre compétition de fiction reflète la grande diversité du cinéma du bassin méditerranéen. Quelles tendances avez-vous remarquées ?
Cette année, nous avons vu notamment beaucoup de films turcs intéressants et nous avons sélectionné Life de Zeki Demirkubuz en compétition et Fidan de Aycil Yeltan au Panorama. Nous sommes aussi très heureux d’avoir un film grec en compétition avec Meat [+lire aussi :
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interview : Dimitris Nakos
fiche film] de Dimitris Nakos, car cela n’avait pas été le cas depuis longtemps. Mais nous avons été un peu déçus entre autres par les films d’ex-Yougoslavie et par la production égyptienne.
Comme Albert Serra, énormément de cinéastes feront le déplacement à Montpellier pour présenter leurs films, sans oublier Alba Rohrwacher, Reda Kateb et Rodrigo Sorogoyen auxquels vous rendrez hommage. Cette affluence est-elle un motif de fierté ?
Présenter les films, donner la parole aux cinéastes, c’est notre raison d’être, mais je pense qu’eux aussi, et c’est sans doute une conséquence de la période Covid, ont pris pleinement conscience de l’importance d’accompagner leurs films, de créer du lien, de dialoguer avec le public, d’avoir un retour sur leurs oeuvres.
Deux films de la compétition (Aïcha [+lire aussi :
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fiche film] et Panopticon [+lire aussi :
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interview : George Sikharulidze
fiche film]) sont passés par les pitchings des Cinemed Meetings. Bourse d’aide au développement, projets Du Court au Long, seconde édition des rencontres Cinemed & Aflamuna pour les projets arabes : l’offre est très vaste pour des partenaires potentiels.
C’est un cercle vertueux. Si nous nous sommes associés à Aflamuna pour donner aux projets de films arabes une porte d’entrée sur l’industrie européenne, c’est parce qu’il y a un intérêt des professionnels. Ils ont davantage de propositions au-delà de ceux de la Bourse d’aide et ils peuvent rencontrer les auteurs qui ont eux aussi plus de chances de démarrer leurs projets. C’est une dynamique qui se révèle très positive. Et notre spécificité d’être à la naissance des projets est désormais bien reconnue : on sait qu’on va découvrir des choses aux Cinemed Meetings. On y rencontre des talents qu’on ne connaissait pas encore et qu’il sera intéressant de suivre.
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