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CANNES 2023 Quinzaine des Cinéastes

Claude Schmitz • Réalisateur de L’autre Laurens

"Un film hommage, mais aussi critique et ironique, un film de faux-semblants"

par 

- CANNES 2023 : Le cinéaste belge parle de son film noir méta et malicieux qui sonde la fin du patriarcat, et se joue des codes du genre et des genres

Claude Schmitz  • Réalisateur de L’autre Laurens
(© Cha Gonzalez)

Après le surprenant Lucie perd son cheval [+lire aussi :
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, millefeuille narratif qui explorait la psyché d’un actrice vagabonde, Claude Schmitz revient avec L’autre Laurens [+lire aussi :
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, meta-polar malin et percutant qui épuise les ficelles du genre, ouvrant la voie de l’insurrection à sa jeune héroïne. Le film est dévoilé dans le cadre de la Quinzaine des Cinéastes de Cannes.

Cineuropa : Quelles sont les origines de L’autre Laurens ?
Claude Schmitz : Je voulais faire un film qui parle d’identité et d’héritage. Quand j’étais jeune en internat, on m’a d’abord montré plein de films d’auteurs, de Bergman, de Kurosawa, puis dans l’internat suivant, des films de série B, de Chuck Norris, Steven Seagal, les films testostéronés des années 80, qui véhiculaient une vision du monde très caricaturale, et très genrée. D’une certaine façon, ces deux types de cinématographiques se sont mélangées dans ma tête, et ont créé une sorte d’héritage un peu schizophrénique. Je voulais faire un film qui mette en miroir ces deux cinémas, un film à la fois hommage, mais aussi critique et ironique. C’est un film de détective, d’enquête, et c’est aussi une enquête sur la question du genre. Un film noir qui mélange la comédie, l’action, la série B. Au final, c’est un conte sur la disparition d’une vision du monde que je qualifierais de patriarcale, une fable sur le mensonge des pères.

Et puis il y a cette jeune fille, qui pour moi est le personnage principal, même si le protagoniste est le détective. Cette jeune fille, c’est un peu moi. Elle prend conscience de cet environnement constitué de figures de père qui véhiculent un rapport au monde dépassé.

Je crois que c’est de ça que parle le film, l’effondrement de ce patriarcat. Et tout ça à travers une forme que je voulais en même temps assez lyrique, romanesque, qui investisse complètement les codes du genre, en n’ayant pas un regard cynique, en donnant une chance aux personnages. Le film est une sorte de métaphore, d’allégorie. C’est un film de faux-semblants. Il y a une fausse Maison Blanche, une fausse frontière mexicaine, un faux Grand Canyon. On est dans des lieux qui renvoient aux Etats-Unis, et à la fascination des européens pour la culture nord-américaine.

Déterritorialiser ces éléments, c’est une façon de chercher leur vérité, mais aussi de les voir comme discours, comme signes ?
Oui, même si je ne sais pas où se situe la vérité. Tous ces éléments symboliques ont une double identité. Ce sont des lieux qui existent "en vrai", mais qui renvoient aussi à d’autres lieux. Il faut dire que c’est un film sur le double, la gémellité, et la crise d’identité, un film qui a un double niveau de lecture.

Qui sont Gabriel et son double, qui est Jade ?
Gabriel et son frère, ce sont les deux faces de la même pièce. Il y a beaucoup de films de jumeaux, c’est un cliché en soi. Ce qui m’intéressait là-dedans, c’est de prendre les jumeaux avec l’idée que ce sont les mêmes, qu’il y en a un qui devient l’autre. Pour moi, Jade vient chercher un père de substitution. L’autre Laurens, c’est un titre ambigu, on ne sait jamais de quel Laurens on parle. Je voulais quand même rendre Gabriel attachant, qu’on puisse ressentir le drame. Mais fondamentalement je ne suis d’accord avec rien de ce qu’il fait ni de ce qu’il dit.

Jade, je l’ai construit comme un personnage un peu archétypal aussi. Comme dans les films noirs, on a une femme qui vient la nuit voir un détective privé, même s’il n’y a pas de séduction ici, elle fait écho à ces jeunes filles en détresse qui viennent demander de l’aide à un homme. Ce qui m’intéressait aussi, c’était de raconter comme cette jeune fille se sort de cette affaire parce qu’elle comprend qu’elle est étouffée par les figures de pères autour d’elle. Autant d’hommes qui pensent savoir ce qui est bon pour elle. Mais elle va mettre à nu ces mécanismes de domination.

Comment s’est tissé le récit ?
Je viens du théâtre, donc Shakespeare est le réservoir à récits ultime pour moi. Souvent chez lui, il y a des duos de bouffon, de fous, qui posent un regard critique sur ce qui est en train de se passer, complices du spectateur. Ils peuvent aussi amener une variation sur le même thème. C’est le statut des deux policiers qu’on retrouve dans le film. Ils amènent un contrepoint comique, une tournure grotesque face au tragique des choses. Cette dimension burlesque vient contredire le drame, rappeler aussi qu’on est dans une histoire. Formellement, c’est le genre de choses qui me passionnent, quand le film s’autorise des chemins de traverse, tout ce qui permet de dévier le film de la trajectoire attendue. Ce que j’ai envie de faire, ce sont des films comme des aventures, où tout n’est pas donné d’avance dès les premières images, l’idée étant de naviguer avec les choses, de créer à chaque fois des éclats qui donnent des colorations différentes, de créer une sorte d’objet baroque.

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