Lynne Davison • Réalisatrice de Mandrake
“Les grands films de genre s’appuient toujours sur de grands récits humains”
par Marta Bałaga
- La réalisatrice nous parle de la manière dont elle a pris à bras le corps, dans son premier long-métrage, la dimension sombre du récit d’horreur populaire
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critique
interview : Lynne Davison
fiche film], Cathy (Deirdre Mullins), contrôleuse judiciaire, affronte "Bloody" Mary Laidlaw (Derbhle Crotty), une meurtrière notoire de retour dans son ancienne communauté après des décennies en prison. Quand deux enfants disparaissent, les locaux savent immédiatement qui accuser. Nous avons interviewé la réalisatrice du film, Lynne Davison, juste après sa projection à Night Visions 2022.
Cineuropa : Night Visions a décidé de célébrer le cinéma d'horreur folklorique cette année à travers une mini section spéciale. Quelle est votre rapport à ce sous-genre ? Dans certains pays, il n’a jamais disparu.
Lynne Davison : C’est résolument le cas en Irlande. En Irlande, les gens ont toujours été en connection avec la nature. J’ai été élevée avec des récits, légendes et monstres païens. Mon lien à tout cela est profond. J’ai toujours regardé des tonnes de films d’horreur en général, mais l’addition du folklore les rend encore plus troublants, comme dans le cas de The Wicker Man. Par ailleurs, je tenais vraiment à ce que mon film reste très ancré dans le réel, or les récits d’horreur populaires vous permettent de faire ça. Ça donne l’impression que la magie est réelle, qu'elle est partout autour de nous et qu’il y a des personnes douées qui savent l'utiliser. J’ai aussi beaucoup pensé à Frankenstein, et au fait que ce sont des forces naturelles qui ont été employées pour créer ce monstre presque magique. Je me souviens de la manière dans la communauté locale réagit face à lui et maintenant, dans ce film, on les voit passer les bois au peigne fin, rechercher de nouveau "le monstre". J'ai dû me faire violence pour résister à la tentation d'équiper les villageois de flambeaux et de fourches !
En effet, le film a quelque chose de très ancré dans le réel. Il contient aussi beaucoup de tristesse. Tout le monde ici va vivre quelque chose de douloureux, au bout du compte.
Un des éléments les plus frappants du scénario était ces deux personnages féminins : dotés de défauts, nuancés et très, très réalistes. En établissant le chagrin qui habite leurs deux vies, je voulais montrer que ceci n'est pas l'histoire de sorcellerie type, ou celle d'une mère de famille qui mène une vie normale. Je voulais metttre en avant les zones grises de la maternité et le fait que c’est différent pour tout le monde.
Quand vous avez mentionné que tout le monde dans le film vit quelque chose de douloureux, je me suis mise à penser au personnage de Grace [la nouvelle femme de l'ex-mari de Cathy, jouée par Roisin Gallagher], qui est probablement celle qui perd le plus de choses. Elle est si durement frappée qu’à la fin du film, elle est une personne complètement différente de ce qu'elle était au début. À un moment, je me disais constamment : "Qu'elle est agaçante avec son image d'Épinal de ce qu’une femme est censée être". C'est comme si inconsciemment, j’essayais de la punir pour ça.
Ce qui est intéressant dans le personnage de Mary, qui est sortie de prison mais n'en reste pas moins encore coupable aux yeux de beaucoup de gens, c'est qu'on ne sait pas quoi penser d'elle, et vous gardez clairement le flou sur la question.
C'est une des discussions qu'on a eues, car nous différions dans nos conceptions du personnage, et sur la question de savoir à quel point elle est maléfique ou pas. Je voulais laisser les choses en suspens le plus possible, que le spectateur se demande s'il voit juste ou pas. Ou peut-être que c’est juste une rumeur, une rumeur qui pourrait coûter sa vie à quelqu’un. Mon intention était presque d'éviter de la dépeindre comme une méchante extrêmement froide. Elle a son propre code moral et je voulais faire allusion à ses regrets. De plus, comme j'ai donné des cours et effectué d'autres missions dans le cadre d'une association caritative qui s'occupe des prisonniers, je voulais intégrer cette expérience dans le film. Je voulais rendre ce que j'ai ressenti en côtoyant ces gens qui avaient commis quelque chose d’horrible, sans que je sache quoi exactement.
Pourquoi avez-vous décidé de faire un film aussi sombre, littéralement ? Difficile de ne pas s'en trouver déconcerté, par moments.
Je voulais que les spectateurs se sentent comme des victimes, qu'ils soient aussi désorientés que possible. Nous nous sommes beaucoup disputés sur la question, plus que sur tout autre aspect du film, mais un film comme celui-ci ne peut fonctionner que dans l’obscurité, car c’est l’endroit le plus effrayant où l’on puisse être quand quelque chose se passe, quelque chose qu’on peut pas contrôler. Je tenais absolument à transmettre cela. Cela dit, cette obscurité a beaucoup de texture.
Pensez-vous que vous allez vouloir continuer à combiner le cinéma de genre avec une approche plus terre à terre ?
Oui, je crois. Mon prochain projet est un film de science-fiction post-apocalyptique dont le vrai sujet est en fait les difficultés psychologiques de quelqu’un qui vit dans ce monde. Ce personnage tâche survivre et essaie de trouver un but, d'obtenir le pardon. Les grands films de genre s'appuient toujours sur de grands récits humains. Un de mes préférés, Alien, ne serait rien sans le sentiment d’isolement terrifiant qui l'habite ou sans ce vaisseau spatial en perdition dans lequel ils vivent tous. Sans cela, on aurait oublié ce film.
(Traduit de l'anglais)
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