SAGAN FRANÇOISE (1935-2004)
À un journaliste qui lui demandait en 1961 : « Comment vous situez-vous dans la littérature actuelle ? », Françoise Sagan répondit : « L'écrivain le plus lu ». Boutade peut-être et constat lucide aussi de celle qui, en 1954, connut avec son premier roman une célébrité immédiate et mondiale. Avec plus de trente millions de livres vendus en France et une œuvre traduite dans une quinzaine de pays, l'auteur de Bonjour tristesse est un des écrivains les plus populaires de la seconde moitié du xxe siècle. Pourtant, son œuvre a été continuellement regardée avec suspicion par la critique.
« Mademoiselle tristesse »
Françoise Quoirez naît le 21 juin 1935 à Cajarc dans le Lot. Ses parents, Pierre Quoirez, fils d'industriels du nord de la France, ingénieur en électricité et Marie Quoirez, née Laubard, ont eu précédemment deux autres enfants : une fille, Suzanne, née en 1922 et un fils, Jacques, né en 1925. La famille vit à Paris, au 167 boulevard Malesherbes, dans le XVIIe arrondissement. La jeune Françoise reçoit une éducation bourgeoise entre des parents aimants et son frère et sa sœur dont elle restera toute sa vie très proche. Sa scolarité est médiocre. Aux mornes leçons de ses professeurs, elle préfère très tôt la lecture. Ses premières amours ont pour nom Stendhal, Proust, Faulkner, Scott Fitzgerald, les grands écrivains russes et les existentialistes. En 1950, elle est renvoyée du très catholique cours Louise-de-Bettignies, mais ne dit rien à ses parents. Pendant plusieurs mois, elle découvre Paris. Après un rappel à l'ordre et un bref séjour au couvent des Oiseaux, elle obtient non sans difficultés son baccalauréat et s'inscrit en propédeutique à la Sorbonne. Qu'importe si, en 1953, elle rate son examen. Elle a d'autres projets.
Cet été-là, en effet, Françoise Sagan s'enferme dans l'appartement du boulevard Malesherbes. En six semaines, elle écrit son premier roman, qu'elle intitule, en souvenir d'un poème de Paul Eluard, Bonjour tristesse. Au mois de janvier 1954, elle porte son manuscrit chez René Julliard. Quelques jours après l'avoir lu, l'éditeur signe un contrat avec la jeune femme, qui a choisi son nom de plume, Sagan, emprunté à Proust. Le succès est immédiat. Le premier tirage de 5 000 exemplaires est épuisé en quelques jours, suivi des réimpressions à 3 000, 25 000 et 50 000 exemplaires avant les vacances d'été. En un an, il se vendra près d'un million d'exemplaires : un best-seller. Le prix de la Critique, attribué le 24 mai, déchaîne les journalistes. François Mauriac, qui à la une du Figaro a qualifié l'auteur de « charmant petit monstre de dix-huit ans », défend l'œuvre : « Le talent éclate à la première page. Ce livre a toute l'aisance, toute l'audace de la jeunesse sans en avoir la moindre vulgarité. De toute évidence, mademoiselle Sagan n'est en rien responsable du vacarme qu'elle déclenche. [...] On peut dire qu'un nouvel auteur nous est né. »
Cécile, l'héroïne du roman, a dix-huit ans. Elle passe l'été dans le Midi avec son père. Au sortir du couvent, elle découvre l'insouciance, la liberté et la sensualité. La rencontre entre son père et une femme plus âgée, Anne, dont il tombe amoureux, fait sombrer l'histoire dans la tragédie. Cécile pousse Anne au désespoir et la conduit au suicide. Le scandale est énorme. Cependant, il n'a pas pour origine la conduite meurtrière de l'héroïne mais sa liberté sexuelle : « on ne tolérait pas qu'une jeune fille de dix-huit ans fît l'amour sans être amoureuse avec un garçon de son âge et ne fût pas punie. L'inacceptable étant qu'elle ne fût pas éperdument amoureuse et qu'elle ne tombe pas enceinte à la fin de l'été » (Derrière l'épaule, 1998). Bien que les femmes aient obtenu dix ans plus tôt le droit de vote et malgré la publication en 1949 du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, que Françoise Sagan avait lu, le plaisir de la femme et son droit à une sexualité libre sont encore largement niés par la société. À dix-neuf ans, Françoise Sagan est riche et mondialement célèbre. Son roman est porté à l'écran par Otto Preminger en 1957. Le succès la libéra du souci de la gloire et de la réussite, comme elle le dira plus tard, mais il la condamna en même temps. En effet, la proximité entre l'âge de l'héroïne et celui de son auteur conduisirent les journalistes à prêter à la seconde les excès de la première. La « légende Sagan » était née.
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Écrit par
- Frédéric MAGET : enseignant, professeur de lettres modernes, auteur
Classification
Médias
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