Eden Lake - Critique
Un « survival » à tendance sociale efficace et bien réalisé. Cependant, le nihilisme un peu trop facile et le ton grandiloquent employé par le réalisateur noircissent le tableau. Dommage...
Rien ne peut être plus horrible et plus terrifiant qu’une jeunesse désoeuvrée en manque de repères. Tel semble être le message principal de ce film anglais. Cependant, au-delà de cette proposition initiale, James Watkins met en place un discours destructeur, efficace et inquiétant, qui fait l’apologie de la violence et de la rébellion, et où la loi du Talion se révèle être la seule réponse possible. Au-delà d’un discours très didactique, Eden Lake devient une machine assez monstrueuse, qui, après avoir versé dans le récit horrifique à tendance sociale, s’achève par la démonstration de la noirceur du genre humain. Le nihilisme est immanent dans l’œuvre de Watkins : si Dieu est mort, tout est donc permis…
Le postulat sur lequel le film repose est le suivant. Un jeune couple choisit de passer un week-end au bord d’un superbe lac, l’Eden Lake, à quelques heures de route de chez eux. Alors qu’ils s’installent tranquillement sur la plage, nos deux jeunes tourtereaux font connaissance avec une bande de jeunes pour le moins louches bien disposés à les ennuyer. Naturellement, le ton monte entre les deux parties et le couple refuse de capituler devant ces jeunes gamins mal élevés de 15-16 ans ; rien ne saurait gâcher leur paisible week-end en amoureux. Cependant, cette bande va se révéler bien plus agressive qu’on ne pourrait le croire à première vue et va tenter d’imposer sa loi. Comme on pouvait le redouter, la situation empire et tourne finalement au cauchemar. Le couple retrouve les pneus de leur voiture crevés. S’ensuit un périple dans la forêt bordant le lac, au cours duquel les jeunes délinquants vont jouer le rôle de prédateurs nihilistes, dont la bêtise ravageuse n’a d’égale que la violence de leur comportement. Quelques scènes particulièrement choquantes nous rappellent que l’on est en présence d’un film d’horreur et non d’un film social particulièrement déprimé, dont une séance de torture singulièrement horrible (voir une bande de jeunes mutiler le corps d’un adulte presque par simple « plaisir » est assez atroce, il faut bien le reconnaître…).
La problématique centrale du film est la suivante : peut-on se rebeller contre la violence sans borne des jeunes délaissés ? Existe-t-il encore la possibilité d’un dialogue entre les générations et les différentes couches sociales ? La légalité peut-elle encore l’emporter sur la simple « force brute » ? Ou bien la seule solution réside-t-elle dans la pure loi du talion, « œil pour œil, dent pour dent » ?
Eden Lake commence par un plan ultra-classique qui met en scène le voyage en 4X4 du couple depuis Londres jusqu’à ce fameux lac. Dans la voiture, la radio donne à entendre un discours de Tony Blair – le récit se situe sous l’ère de l’ancien Premier ministre travailliste – axé sur les problèmes sociaux engendrés par le manque d’éducation et la perte de repères de la jeunesse anglaise, délaissée, livrée à elle-même, qu’il convient de reprendre en main. Watkins ouvre donc son film en mettant en avant ce qu’il considère être la cause principale du cauchemar qui va survenir par la suite : l’explosion de la violence sociale n’est due qu’à l’égarement de la jeunesse anglaise. La pauvreté, la désespérance leur a fait oublier toute notion de morale ou de respect. De cette manière, la première partie du film est en cohérence avec l’idée principale que le réalisateur tente de développer. En effet, les jeunes voyous s’attaquent au couple pour ce que celui-ci représente : l’embourgeoisement, la stabilité sociale, les conventions. Les jeunes se sentent « différents » de la « normalité » véhiculée par ce couple en vacances le temps d’un week-end.
Cependant, et c’est bien là que le film se révèle curieux, la deuxième partie du récit « oublie » l’aspect social du scénario et se concentre quasi exclusivement sur la chasse du couple par les jeunes voyous. Le film dérive vers le « survival » pur et dur, avec des scènes de poursuites assez bien réussies. Si James Watkins ne fait jamais montre d’une véritable originalité dans la mise en scène, il faut reconnaître que les scènes d’horreur sont assez efficaces et que l’on ne s’ennuie pas une seule minute.
Le vrai problème du film survient dans les quinze dernières minutes. Watkins recentre son film sur l’aspect psychologique des personnages et tente également de formuler une réponse globale aux questions posées. Or, en intégrant des éléments nouveaux dans l’histoire, en associant les parents, les familles de ces enfants, à la violence perpétrée, Watkins utilise une porte de sortie trop didactiquement nihiliste pour être appréciée. Car la violence et l’imbécillité sauvage ont gangrené toutes les familles en situation de détresse, la solution du film, la seule réponse donnée par le réalisateur est la loi du Talion, la vengeance pure sans aucune forme de légalité. La victime, c’est-à-dire le corps social, doit anéantir le virus qui sévit en son sein pour reprendre les commandes de la société. Dans un certain sens, la réponse donnée par le réalisateur est la suivant : « A la violence, il faut répondre par une violence pire que la violence initiale ». Tant que la solution ne sera pas la violence privée, la rébellion face aux rebelles, aucune porte de sortie n’est envisageable ; si le corps social ne prend pas le parti de la loi du Talion, s’il ne choisit pas la voie de la fermeté face aux délinquants, il ne peut qu’échouer dans sa volonté de reprendre les rênes du destin commun et de l’intérêt général. Watkins se place résolument du côté de l’adage romain, selon lequel « le cri de la loi est trop faible pour dominer le fracas des armes ». Une triste fin pour un film qui finit dans la noirceur la plus totale et qui prend le parti du pire, d’une façon grandiloquente.